Le parcours de Ralph, atypique en apparence, a suivi une progression cohérente, à l’écoute d’impulsions le faisant pénétrer dans l’univers musical et dans la vie d’une manière très personnelle.

Enfant, il s’amuse à improviser sur le piano de famille en cherchant des harmonies sur le clavier. A trop chercher, on l’amènera chez une professeur de piano qui n'hésitera pas à lui infliger la Méthode Rose, sort commun à beaucoup d’enfants... Première mauvaise expérience. Elève pas assez scolaire.

Ralph abandonne momentanément le piano pour y revenir à vingt-trois ans lorsque qu’un pianiste de concert, William Naboré, l'ayant entendu improviser, le trouve doué et propose de lui donner des leçons. Le père de Ralph souhaite que ces leçons aboutissent à quelque chose et prennent placent dans un plan de carrière: préparer le concours pour entrer au conservatoire. Malheureusement, à l’époque ce nouveau professeur ne vibre pas aux harmonies chopiniennes, trop entendues et pas assez originales à son goût. De plus, le programme étant largement imposé, Ralph doit à nouveau travailler des morceaux qui ne l’inspirent pas. Deuxième mauvaise expérience. Élève trop chopinien.

Confronté à des limitations de ses mains qui lui semblent alors insurmontables, il finit même par se laisser convaincre qu'il est trop vieux pour faire carrière comme musicien classique. Malheureusement ou heureusement... Aurait-il eu sinon la même richesse de vie, d’expériences, aurait-il conserver ce même amour de la musique? La vie et ses hasards… qui n’en sont peut-être pas.

L’art de la photographie remplace pendant quelques années celui de la musique mais au moment de faire le choix de s’y engager de manière sérieuse pour faire carrière, la musique, son premier amour, reprend le pas. S'ensuit une période d'une dizaine d'années consacrée à la compositions de musique électronique rythmée et au métier d'ingénieur du son en studio d’enregistrement. Il retirera de cette expérience une connaissance intime des lois de l'acoustique, de la manipulation informatique du son, ainsi que le vécu intéressant d'un survivant de l'apocalypse (le studio était dans un abri anti-atomique).

A quarante ans, nouveau changement de décor, autre tournant, déclic. Impulsion donnée par une nouvelle rencontre avec Chopin en la personne de Dora Bakopoulos, pianiste de concert grecque. Personnalité très inspirante qui l’encourage à jouer tant elle aime écouter ses Nocturnes de Chopin et ses improvisations. Cette nouvelle rencontre le titille et lui donne envie de voir où en est sa technique. Et là, à sa plus grande surprise, les limitations qu'il éprouvait à l’âge de vingt-cinq ans lui semblent avoir disparues. Les capacités de ses mains semblent avoir évoluées avec le temps, sans relation avec quelque pratique de l'instrument.

Depuis, Ralph continue d'explorer de nouveaux horizons dans cet art pour lequel il se sentait périmé à l’âge de vingt-cinq ans. Pourrait-on voir là une remise en cause des lieux communs habituels et rassurants ? C’est bien connu : à vingt-cinq ou quarante ans, on est trop vieux pour apprendre vraiment… Finies la souplesse du corps, l’adaptabilité de l’esprit, on est déjà sur la pente de la vieillesse déclinante, qui va vers l’érosion des capacités et des possibilités… Hors de l’enfance et de la jeunesse plastique, pas de salut.

Et si l’on était juste trop vieux pour se lancer dans une pratique sans forcément penser à atteindre un but, au succès ou à l’échec ? Et si on ne savait simplement pas se donner à une activité comme un enfant qui joue parce qu’il aime cela ?

Prendre plaisir à vivre au rythme non choisi de ses progrès, de découvertes multiples, curieux d’explorer chaque jour de nouvelles possibilités, de jouer avec et autour de ses limites, de les rencontrer de manière intime.

Une pensée libre, une conviction personnelle inébranlable et un amour de la pratique pianistique vécue comme un art corporel peuvent peut-être faire la différence et contredire ce lieu commun du découragement adulte… Sans oublier un perfectionnisme assidu et quotidien au service d’un désir jamais essoufflé, toujours entier, de donner corps à une musique qui pour Ralph incarne l’inspiration sensible.

Propos recueillis et librement interprétés par Anne-Béatrice Duparc